Sapho – Aujourd’hui : journal au bord – Editions Bruno Doucey, 2019

Vivre le temps, l’arrêter dans l’écriture, le questionner. Tel est le défi auquel semble se livrer Sapho dans son dernier recueil : « J’ai voulu emprisonner aujourd’hui dans mon poème/il m’a fait sa/ prisonnière. » A chaque heure du jour correspond un texte où résonne l’impitoyable balancier de cette horloge qui régit nos vies entre souvenir, espoir, révolté pour en définitive inscrire peut-être le seul avenir durable possible : celui de l’écriture. Toujours au bord de l’indicible, ce texte à la limite charrie une cargaison d’images parfois comme issues de la nuit sous la forme de ces pages noires encartées dans le livre où dérivent des rêves, des pensées nocturnes, l’effraction des attentats du 13 novembre au Bataclan et l’innommable violence : « dans le flux du temps/j’ai beau demeurer/je voyage ». le combat de l’écriture ne serait en définitive que la lutte contre l’oubli, l’effacement, une manière d’exister encore dans ce corps à corps où il s’agit de « toréer » avec le temps même si nous savons que nous n’aurons pas le dernier mot, celui qui n’existe pas : « d’où viennent les mots/du seul désir/de dire/le monde qui n’existe pas/pour/qu’il s’enfante ? ou bien/le serrer dans un alinéa ? impossible/quoique… » Ainsi le souhait de Sapho de Métylène rejoint celui de Sapho de Marrakech : « Que quelqu’un se souvienne plus tard  » à travers les âges. Car en définitive au temps réel se substitue le seul qui vaille la peine d’être vécu, le temps subjectif qui nous est ainsi proposé en partage à travers l’originalité d’une composition qui semble flotter sans cesse entre fiction et réalité en fonction de des heures diurnes ou nocturnes qui scandent le texte comme un gong déchirant : « Comme la vie est lente/et comme/l’espérance est violente/guillaume/le temps s’en va Madame/ Pierre/mais nous/nous nous en allons/ nous en aller ?/je dirais/nous dérivons/ne gouvernons rien/pouvons toréer la dérive. »

Véronique Elfakir- Revue Terre à ciel

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