Note de lecture revue Terre à Ciel -Lin Yaoh-teh – De la neige dans un bol en argent – Traduction Gwennaël Gaffric - Circé – 2024
Ce recueil de Lin Yao-teh, poète taiwanais, semble nous faire parcourir tout l’espace et le temps dans une sorte de télescopage permanent. Comme le souligne la postface, on passe sans cesse de l’individuel au collectif ou même de l’espace local à l’espace cosmique. Lin Yao-teh se montre capable « d’enfermer des univers infinis et des moments d’éternité dans l’espace confiné et limité d’un bol argent ». Ce bol est « plein de mots comme la neige » et baigne « l’univers de clarté sur des milliards d’années-lumière », il contient « toute la civilisation et tout l’amour », « le blanc neige de l’argent et le blanc argent de l’expérience. » Ce poème liminaire définit ainsi toute l’entreprise poétique. Comme s’il s’agissait de tout contenir ou parcourir mais à travers un style qui épouserait la blancheur cristalline du flocon.
Le moi est souvent décris comme une sorte de temple ou monastère où il tente d’approcher à travers quelques épures ce qu’il nomme « l’énigme violette » : « nous foulons le tapis mystérieux de symboles/ vers le noyau intouchable de la vérité/nous creusons énigme après énigme/ (…) sorties de l’ambre violet/mes pensées fraîches/cheminent en un petit groupe de moines médiévaux », « vagues blanches englouties dans un océan de lumière. » Le sacré semble ainsi ramener l’onde de la sérénité.
Certains poèmes semblent enjamber des siècles de civilisation ou se perdre dans la galaxie où des planètes tournent sans fin. La ville dans toute sa modernité asphyxiante apparaît sans cesse comme une toile de fonds ainsi que le désordre du monde. Seul le désir, l’amour ou le lever du soleil semblent alors parfois perforer l’obscurité… : « Peu à peu l’été se fane/l’automne ne s’est pas encore paré d’orange/tu es au centre de la plaine/tu es le blanc qui se déploie sans fin/mes pensées /sondent les choses de ton cœur qui ont la température/du jade. » Partout affleurent des références à la poésie chinoise classique qui côtoient des textes beaucoup plus modernistes au style hachuré. « Une étoile en séjour sur la terre » : ainsi fut défini ce poète au bref parcours qui nous a laissé ces textes d’une beauté et d’une originalité fulgurante.
Extraits
"Dans l’espace de mon esprit, mes postures fugitives
s’arrondissent en un bol d’argent
plein de mots comme la neige
baigne l’univers de clarté sur des milliards d’années-lumière
regarde cette neige dans le bol
c’est toute la civilisation c’est tout l’amour
tous mes choix intrépides. Gloire absolue
comprimée
dans l’éternité de l’affrontement éphémère
débordant de disputes et de révoltes
le blanc neige de l’argent
le blanc argent de l’expérience
en un éclair
désillusionné
quand le blanc neige de l’argent s’oxyde en noirceur de soufre
quand le blanc argent de l’expérience se fond dans la transparence de l’eau
la noirceur s’amoncelle dans la toile de ténèbres du Cosmos
la transparence effleure le sentier haut et mûr de la Voie lactée« »Oh je suis devenu un petit monastère
dans la pénombre
prières
la porte s’ouvre doucement :
sur le seuil
dix mille
innombrables
étoiles
lumières lumières
volent volent volent
divisent divisent divisent divisent
ouvrent ouvrent ouvrent ouvrent ouvrent
viennent viennent viennent viennent viennent
ce dos solitaire
debout sur les marges
d’une planète errante
dérivant silencieusement entre
les carillons flottants
comme une note discordante
dans une mélodie qui tourne en écho
qui raidit les nerfs de ceux qui écoutent
symboles
du tourment
de la solitude
du mystère
l’univers se contracte et se dilate
il se dilate et se contracte
les étoiles qui s’envolent du temps infini
et le vieillard du temps qui fredonne toujours le même air
qui rejoue toujours le même tour« »Poussant à travers le voile obscur des rêves ;
je marche dans ta prochaine nuit de sommeil.
Véronique ELFAKIR
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