ô Châteaux – Denise Le Dantec – Les éditions Sans Escale, 2022

Le recueil de Denise Le Dantec s’ouvre sur le resplendissement d’une rose et la matière de neige de la page d’où surgit la promesse incessante d’une floraison à venir et d’un ruissellement de lumière. Ce « graphène irradiant » est pour elle la définition même de la poésie portant cette interrogation d’une coïncidence possible entre les mots et les choses décrites ou parcourues : « Crois-tu que la parole et les choses parlent la même langue ?  » Le vocable devient alors « ce flocon mimosa » tourbillonnant dans l’espace du texte comme l’envol possible de la parole. D’énigmatiques inventaires émaillent le texte comme surgis de l’espace diurne d’une sorte de rêve éveillé d’où émerge parfois quelques images délicatement incongrus ou ironiques tels ces patineurs dansant sur un médaillon de glace « en discutant du cogito ». Ainsi se dévoile la profondeur tragi-comique de l’existence : « Les gens ont des préoccupations extrêmes/Leurs propositions tombent/dans des plaidoyers d’argent/L’argent existe en de multiples couleurs. » Mais loin de toute pensée désincarnée, la réalité sensible reprend vite ses droits et ne cesse de surgir tout au long du recueil : un robinet qui fuit, une liste de course… Il est rythmé sans cesse par cette alternance de métaphores surréalistes et de détails du quotidien. Cet art du paradoxe et de l’aphorisme scande le texte pour le porter à l’incandescence d’un réel toujours à revêtir des voiles de la fiction pour être habitable : «  Nous désherbons 10 000 mots par jour/jusqu’à la touche finale ». Le surgissement des mots précède ainsi celui des choses pour les revêtir d’une nouvelle dimension : surréelles en quelque sorte, en une sorte de démultiplication de la vie par l’écriture : « le ciel les étoile éparpillées les feuilles de saule/un rayon dans les balises d’arbre/que dire du monde argenté ? ». L’énumération d’une vie parcourue déroule ses incessantes volutes : « J’ai regardé la lune/les fleurs célestes/les nébuleuses/les flocons ». De l’écriture toutefois naît un incessant pouvoir de recréation : « Tu traverses les dimensions du texte/Tu donnes au papillon des ailes jaunes et vertes » où il nous faut «  respirer à travers la rose  » en ces jours d’été « où le poème est comme un lac ». Ainsi sans fin se déroule la parole où « ce qui est dit reste à dire  », jusqu’au bout pour nous qui ne sommes que des êtres de langage, comme si les mots étaient l’ultime refuge habitable où notre seule certitude est « que nous sommes quelque chose du monde » en cette « pacotille de nos vies  ». Ainsi persistent ces quelques paillettes recueillies au bout de la route comme des éclats sauvegardés de l’existence par l’écriture où seule la gratuité de l’art subsisterait comme une gratitude : La brume monte du lac avec le vent/ -Les années aimées/-des êtres et des choses/ incomparables. /dont je me souviens (…) – Comme une forme qui/s’émeut dans ce qui s’efface/Et quand je cherche/je sais/que/je tiens encore ta main. Le recueil se clôt sur une promesse d’été où les fleurs abondent et les mots montent haut, une vie sauvée par le poème et sa moisson de sensations ainsi recueillie en un bouquet généreusement offert : « Les oiseaux ont des ailes presque rouges/Tu as repris tes jambes de fillette/un doux passereau se pose dans ta main rugueuse/ (…) entendre voir goûter/ la jolie pêche mûre, difficile de ne pas la désirer/ (…) Tu laisses parler les mots/Tu déclares reine la syllabe.

Extrait

« Aujourd’hui
Jour de janvier
Entre moi et les roses
Par resplendissement
J’entre dans la lumière

Le cahier où j’écris
S’ouvre en fleur
Qu’on dirait matière de neige

Blanc archaïque de la page

Graphème irradiant
Que je ne saurais décrire

Ceci est poésie


Suppose
Que ton cerveau soit un soleil
Et le reste de ton corps, une merveille de petite ville

Suppose
Que ton poème soit une pièce assez grande
Pour loger ta famille, et même ses fantômes

Suppose
Qu’on fasse faire de ton corps
Un arbre, un morceau de verre, une étoile dans la boue
Ou un animal

Suppose
Que tu n’aies qu’une seule image de ta mère,
Celle où elle se tient sous un chêne
Et où sa bouche retient le vent
Comme une ampoule retient la lumière

Suppose
Que la poésie soit une transaction sauvage,
Et que ta douleur, tu la portes
Dans une petite valise de bois.

Véronique Elfakir


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

  Quand l’intensité recouvre De ses cristaux L’écharpe brumeuse de l’existence Dans l’espace coloré du tableau S’oublier pour accueillir la ...