Yves Leclair – Pierre-Albert Jourdain : écrire comme on tire à l’arc – L’Etoile des Limites, 2018, collection l’Atelier céleste, 2018

Dans ce livre-hommage au poète P.A. Jourdain, Y. Leclair nous fait découvrir un poète méconnu mais dont l’œuvre confidentielle fut largement appréciée par Bonnefoy et surtout P. Jaccottet qui partageait avec lui à la fois son sens de l’humilité, de la discrétion voire même de l’effacement et un goût ineffable pour la contemplation... Bureaucrate parisien le jour et poète en ces heures perdues, le refuge secret de Jourdan était son verger du Gard, terre paternelle, où il se plaisait à composer ou peindre comme Jaccottet à Crignan.

Pétri de culture taoïste, Jourdan aime le fragment ou plus encore le koan : cette sorte de minute illuminante saisie par le poème qui transcende le quotidien dans la saisie d’un unique instant…. Loin de tout savoir, ayant abandonné aux autres les boursouflures de l’égo, il se contente de peu : arbres, plantes voire même un simple chardon suffisent à son bonheur…. Car le miracle est là, dans un quotidien méconnu, que notre regard parfois oublie de voir… : « Ici, une herbe, élevée dans la lumière suffit. » Ainsi la nature inspire à Jourdan ses plus beaux textes publiés de façon tout à fait confidentiel presque comme à regret : « Mais il ne faut pas oublier qu’un arbre, une colline, une fleur peuvent nous offrir des sentences tout aussi fortes. Il faut y consentir pour éviter peut-être l’enfermement, la défiguration qui nous menacent. » A l’image du peintre qui tend à disparaître dans sa toile, le « poeintre » tend à s’effacer dans sa communion avec le paysage :
« Ainsi, l’humilité ici visée n’est point – de toute évidence – celle du faux abaissement de soi ; non, il s’agit au contraire de retrouver sa pauvreté originelle, de « réintégrer le cosmos », de reprendre sa vraie place : « Humilité-humus : la liaison la plus profonde. »

L’écriture est pour lui son bâton de berger… A travers la nuit de l’être parfois surgit quelques éclairs de révélations où étayer son âme pour oublier que l’existence parfois déçoit et que nous dormons trop souvent notre vie, inattentifs à ce miracle quotidien qui se déroule sous nos yeux : « J’ajouterais que l’écriture peut être une canne, un bâton de sourcier plus ou moins courbe qui me permet d’avancer plus dignement, de rendre ma boiterie plus droite, non pas pour me mettre au-dessus de la mêlée, mais pour remettre l’âme debout. Une canne pour marcher en même temps qu’une baguette de sourcier. Car je cherche un forage plus intérieur, quelque chose de plus profond et de plus large. Sinon je me sens à l’étroit dans cette vie ! Je ne veux pas d’une existence creuse (…) Vaincre le sommet de ses propres défaites, je n’ai pas dit cacher la misère, au contraire, l’éprouver, la traverser, en venir à bout sans cesse. »

Ainsi pour Jourdan la poésie est à l’image de ce jardin perdu dont elle ne nous offre que l’approche à travers quelques éclats ou fragments de lumière sauvés de l’oubli ou de la torpeur. A ce titre elle constitue une tentative d’entrée sans cesse réitérée pour tenter de susciter un seuil ou un passage vers ce qui nous est depuis toujours dérobé : «  Je vous laisse parler de lyrisme. Quant à moi je parle, en-deça du lyrisme, devant la porte du jardin toujours fermée. Jardin pressenti. Non pas l’innocence, le jardin d’avant la faute, non, mais bien plutôt le jardin de rattrapage (comme on empoigne une corde pour ne pas plonger dans l’abîme »

L’écriture s’apparente pour lui à une sorte d’exercice spirituel, « un assouplissement intérieur » chaque jour réitéré pour retrouver le souffle permanent de cette création à la fois humble et souveraine dont son œuvre à ce jour trop méconnue porte le clair-obscur en une sorte d’irradiante simplicité… Il reste donc sur les traces d’Y. Leclerc à redécouvrir cet auteur tiré de l’oubli et qui méritait ce vibrant portrait….

Extraits :

« Devant ce paysage allégé, je songe à ces merveilleuses légendes où le peintre disparaît à l’intérieur de son tableau, où il s’en va chevaucher quelque nuage. Ce serait en effet tout naturel de disparaître. S’agit peut-être de choisir son pinceau avec soin. »

« Tout est là mais nous dormons notre vie »

« …le chemin profond, ignoré, celui que, exilés, nous cherchons toujours et qui conduirait au Jardin des délices. Jardin toujours perdu, parfois retrouvé, paradis des senteurs, quintessence des essences, abécédaire des noms propres, des herbes sauvages, des plantes potagères et ornementales, des herbes aromatiques. L’entrée dans le jardin, c’est comme la grappe de Canaan dont j’aimerais prendre des grains de raisin pour les compagnons de lecture. »

Véronique Elfakir- Revue Terre à ciel 


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