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 Adeline Baldacchino – L’étoffe dont sont tissés les nuages – éd. L’ail des ours n°2, collection Grand ours

Comme nous l’indique l’exergue, ce recueil, L’étoffe des nuages, est tissé de cinq fils comme « cinq doigts de la main, cinq chapitres d’amour, cinq pierres pour abattre Goliath. » Chaque fil est également composé de sept fibres et chaque fibre compte douze paroles formant une année de signes… Ainsi à l’image des Parques mesurant la destinée des hommes et tranchant le destin, ce tissage des jours trace une cosmologie poétique éclairée par l’intense luminosité de la Grèce.
Le premier fil déroulé est celui de la contemplation : celle de la présence ou de l’être au monde, de l’amour, de l’écriture où « le poème s’invente à l’intersection/s’invite à la jointure ou l’embrasure dit/l’embrasement le poème a pris feu  ». En ce point limite il nous invite à voir la bordure pour ne pas « basculer de l’autre côté des heures ». Il constitue alors une sorte de zone frontière ou une fenêtre ouverte où soufflerait le vent toujours renouvelé de l’imaginaire et du désir. Ainsi sur le métier à tisser poétique défile la trame fragile d’un temps qui nous est compté et dont nous sommes redevables en termes de beauté et d’intensité.
Le deuxième fil parcouru est celui de la révolte et fait état parfois de « ce dur métier de vivre ». Mais si l’existence n’est qu’une sorte d’escale, le sentiment d’aimer en est peut être l’ultime destination, une zone à défendre contre la barbarie sous toutes ces formes, une tentative de résistance à l’oppression. Ainsi la douceur de l’amour partagé s’oppose à la violence du politique comme un temple partagé ou fabriqué à deux.
Le troisième fil est celui du désir : cette chorégraphie des corps et de l’amour qui seul peut-être nous sauve de la nuit : « Tu es géographe du désir ou bien/passant de mes criques/interminables et géo-maître/des sens tu vas et tu reviens/de l’autre côté de la chair/ (le manque est une obole)/à chacun de nos gestes. »
Pour finir le dernier fil tissé est celui de l’extase esthétique. La contemplation toujours renouvelée du plus infime détail : un craquement d’écorce, la démarche chaloupée d’un chat, la saveur d’une tomate rouge explosant dans la bouche…
Ainsi en va-t-il de ce chemin toujours renouvelé de la vie à chaque pas comme une écume interposée entre la réalité et le temps, un rivage qui sans cesse reculerait… Et si le poème célébrant l’éphémère est destiné à passer, à sombrer dans l’oubli parfois, il constitue toutefois une tentative d’inscrire une trace contre vents et marées : « Le poème devrait nous apprendre/à nous déprendre, or il nous attache/plus fermement à la vie/nous lie et nous relie nous ligote au/désir il fabrique de la parole/amante avec des mots d’amour il/dit la mort et nous entendons/l’amour il dit je passe et nous croyons qu’il/reste il se moque et nous voulons qu’il/plaisante il sait qu’il ne sauve de rien ni/personne et pourtant nous/écrivons. » Une fois encore Adeline Baldacchino nous livre un tissage ou tressage poétique subtilement construit, à la fois profond et sensuel.

Véronique Elfakir - Revue Terre à ciel

 Adeline Baldacchino : Poèmes pour traverser l’hiver

Ce recueil d’Adeline Baldacchino [1] , qui chemine comme nous l’indique sa biographie entre littérature, philosophie et poésie s’ouvre sur un hiver inexorable, implacable où l’ombre s’infiltre et dévore « la joie qui nous échappe », c’est dans cette atmosphère que vont se dérouler ces « treize matins » particuliers. Au milieu de la grisaille, les mots sont ces barques de Prométhée pour faire barrage « le vol des vautours dévoreurs ». Nulle concession facile ici sur le chemin aride de la lucidité. Si « nous avalons nos morts », il nous faut survivre à cette absence, puiser la lumière dans la parole et le verbe pour réchauffer les vivants qui sont encore là, de notre amour. Contrer le destin pour forcer l’espérance et vivre la vie que l’enfance nous avait promise, inassouvie, inaltérable :
Il y a ces promesses que nous n’avons pas faites mais que nous aurions dû faire : vivre jusqu’à la lie, vivre en plus de, sur-vivre, comme on vit parce que d’autres ne le peuvent plus, parce que d’autres auraient aimés qu’on le devienne, qu’on les continue, ce qu’ils furent étant désormais indissociables du plus tendre et du plus fragile de nous-mêmes. 

La poésie devient alors un paravent pour lutter contre l’absence de ces fantômes qui nous hantent : Il y a ces poèmes qu’on dérobe à l’aube pour tenir toute la journée. Ceux qu’on ramasse au fond des ruelles où s’envasaient nos cauchemars. Ceux qu’on dépoitraille pour leur aérer le cœur. Ceux qu’on tanne comme de vieilles peaux luisantes. Ceux qui s’érodent quand on les arrose. Ceux qui se froissent quand on les touche. Ceux qui se ressemblent et ne s’assemblent pas. Ceux qui ont semblant de nous sauver, quand rien ne le peut. Et nous le savons. Et nous écrivons quand même.

Dans la brume parisienne s’envase les cœurs, quand ses « tentacules de béton » enserrent les poitrines » et s’infiltre dans la joie, déchirant les cornées. Il y a cependant ce »cartable de livres » où s’arrimer pour s’ancrer dans la terre et résister, des « lignes pour habiller l’oubli » et recommencer. Les mots font « comme si » et ce semblant qui nous leurre nous permet de croire que la vie vaut la peine d’être vécue. Les livres sont alors des ballons pour s’évader par-dessus le temps et voyager, comme si l’enfance revenait et que le monde s’avérait aimable, comme si la vie pouvait se refaire et se réinventer « dans l’espace réduit du possible. » Les illusions qu’on aimait alors se réveillent, « à la nuit tombée dans l’abattoir des anges ».

Dans les rues de Paris quand on rêve d’ailleurs, anywhere out of the word, les « poètes ont toujours torts et la vie a toujours raison » :
Et secrètement logée dans le pli
Qui sépare la douceur de la peur
Le scintillement
D’un glissement 
Elle brillait l’âme

Implicitement on devine qu’en cet « effroyable hiver », un travail de deuil est en cours dont chaque poème constitue comme l’écharde ou l’épine douloureuse que l’on voudrait arracher mais que l’on ne peut qu’écrire pour tenter de circonscrire la souffrance :

Matin d’hiver
Où l’on s’efforce de se dégivrer l’âme
A coups de rame et de boutoir
Qui portent sur la glace
Et ne percent jamais le mystère
A grands coups de battoir
Contre les banquises de l’effroi
Jusqu’à
Se lever et pousser un petit cri de joie
Les mains posées sur la tasse fumante
Le café plus noir que la nuit
Qu’on laisse enfin derrière soi

Le poème se fait alors célébration et souvenir comme dans ce texte également si touchant écrit sous forme d’hommage :

Qui prendra soin de toi parmi les livres
Que tu donnais comme tu les aimais
Un peu beaucoup à la folie
Passionnément comme s’il disait
Tous les trains que tu n’avais pas pris
Avec Blaise Cendrars et toute les vies
Que tu t’étais rêvée
Près de la Kasbah quand tu grimpais les pentes
Que tu cherchais l’ombre de celui qui serait mon grand-père
Sur une plage d’Alger.

Ce recueil aride comme la période qui est ainsi traversée, l’hiver devenant la métaphore du travail de deuil, laisse percer toutefois quelques fugitifs élans de désir ou de joie où petit à petit, la vie semble refaire surface et reprendre ses droits. De sorte que sous nos yeux se déroule un vrai travail de réparation, lent et patient à travers lequel chacun peut se reconnaître, pour retrouver enfin « cette âme qui s’est mise à danser dans un corps qui l’aimait. »

Véronique Elfakir - Revue Terre à ciel

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