Rayonner : la poésie d’Odette Désagulier Berliocchi

Certains êtres lumineux passent sans faire de bruit mais leur présence discrète laisse une empreinte inaltérable… Ainsi en va-t-il de l’œuvre d’Odette Désagulier-Berliocchi, qui mériterait d’être redécouverte, tant son empreinte rayonnante fait entendre une voix à la fois singulière et intemporelle…. Dans son recueil intitulé Envergure de juin [11] et dans La Mille et deuxième nuit [12], chaque poème saisit sur le vif quelques instants d’être presque parfaits où le temps semble s’arrêter : le rire d’un enfant, la clarté d’une lampe un soir d’hiver, l’épanouissement d’une fleur, une silhouette ressurgissant d’un lointain souvenir. Tous ces moments vécus avec intensité convergent dans une seule et même quête éperdue de lumière…. Dans la préface d’Envergure de juin, elle nous livre ainsi son testament poétique : « Pionnier de la lumière pour y bâtir sa cathédrale, le poète, vivifié, exalté par le souffle qui fit éclater la Rose pour un accomplissement surnaturel, le poète subit l’innombrable fascination des éclats de son rêve et se doit de les ressaisir douloureusement pour créer, dans une confiance surhumaine, le vitrail de son œuvre. Sa consécration.
La fleur par excellence, la Rose, au paroxysme de son épanouissement, s’écartèle. Martyre par amour du beau, le poète voit dans la Rose l’image de son propre consentement à sa destinée, le oui sans condition pour cette mort à lui-même qui le ressuscite en la Parole. (…) C’est seulement en possession de sa vérité la plus haute qu’il peut découvrir celle des autres. Et la liberté des enfants de lumière n’est pas autre chose que d’atteindre, par un effort de plus en plus consenti, au rayonnement le plus efficace. Le rayonnement, c’est le don de soi-même à une cause pour laquelle s’évertue la force créatrice, le génie. » 
 [13]

Ainsi la poétesse nous fait-elle don de quelques éclats de vie où il s’agit de consentir à toute chose et faire éclore ainsi, à l’image de la rose, l’ivresse d’un parfum et d’une couleur, dont le plein épanouissement a pour corollaire cette acceptation inévitable de la perte et du tarissement que ressuscite cependant indéfiniment la parole, source d’éternité…. Le verbe créateur se fait alors rayonnement et convertit incessamment la tristesse en offrande permanente de beauté : « Vivre pleinement, c’est brûler à son ardeur le diamant de chaque instant pour son idéale survivance dans l’absolu de notre regard intérieur dégagé de l’amertume des larmes. »

Nulle amertume en effet dans ces pages frémissantes aussi légères qu’un pétale où se dessine toujours l’ombre d’un tendre sourire ou d’un émerveillement toujours renaissant face à chaque aube nouvelle : « Envergure de Juin, c’est l’élargissement progressif du jour jusqu’au solstice d’été. C’est aussi l’ouverture de l’âme jusqu’à sa plénitude lumineuse. D’abord à la mesure d’une lueur domestique, l’œil s’élargit à l’infini pour la re-connaissance splendide. » Chaque texte est comme un pont tendu entre ombre et lumière, tel le funambule décrit dans La Mille deuxième nuit :

Déjà

Sur mes canaux de douleur
J’ai posé la nacelle d’or d’une pensée.
Où se croisent le jour et la nuit.
Elle va se balancer un moment,
Se bercer sur le rouge cordeau
Sitôt brisé.
Si court est le Parfait crépuscule,
Nœud d’harmonie.

J’entends déjà l’iris des rames
Vers l’Infini. »

Capter chaque moment presque indicible où surgit le frémissement d’une grâce furtive, tel semble être le propos incessant d’Odette Désagulier : « Une femme poète médite sur la page où elle vient d’écrire le poème d’un instant parfait. Mais voilà que son silence intérieur éclate soudain en mots enfantins sur un air insolite où d’abord elle ne reconnaît pas son inspiration. Elle les accepte cependant, recomposant sur la page blanche une sorte de ronde-devinette dont elle voudrait saisir le sens qui lui échappe. Bientôt, des mots écrits comme malgré elle, sortent des visions fugitives, échos du passé, mais porteurs de sève nouvelle, matière d’une nostalgie qui soudain prend forme en deux enfants d’un rire qu’elle brûle de retenir, jusqu’aux larmes. »

Il s’agit ainsi de retenir le présent, le convertir ou le tamiser à travers le philtre de cette parole faite or :

ENFANTS DE LA LUMIERE

« L’or sous ta porte close,
Rayon de silence où se divise la parole.
L’or sous ta porte close,
C’est le oui de la rose et le non de son ombre,
C’est la présence et c’est l’absence,
Respiration où l’or se livre et se retire
Pour que nous soyons l’un à l’autre sensibles
Et cependant inaccessibles. »

De cette poésie à la fois solaire et incandescente surgit par-delà ombre et tristesse, une affirmation d’espérance sans cesse réitérée tel un viatique ou un vitrail de lumière traversant le temps. Si la poétesse se demandait dans un de ses textes « qui comprendra ma voix ? », nul doute que cet appel saura être entendu en rendant ainsi hommage à la générosité de ce qui fut de la sorte transmis telle une rayonnante offrande d’amour et de foi en la luminosité de la parole sans cesse transmise, de bouches en bouches, de souffles en souffles, telle un flambeau…

EXTRAITS  [14]

Vigilance

Vieille pluie,
Je te baise les mains
Et tu deviens soleil.
Pluie de mon enfance,
Philtre des soirs fondus
Où le parfum de géranium
était plus fort que la mort
(…)
Je préfère le simple,
Et l’odeur très bête du géranium, escalier domestique
Vers la féerie.

Il danse un océan
Sur un seul grain de sable

 

Inspiration

Dans tes yeux,
Lacs de sureaux blancs et noirs,
Des constellations font et défont
L’ombre
Où la tuile ruisselante s’épanche.
Et tu marches
De la pluie à la pluie au rayon de tes yeux.

Sur une grille de bambous secs,
Un arum se descelle,
Suppliant la musique.

Et la rose, partout, s’infuse.

 

Ce mot

J’ai croisé mes mains dans la pluie.
Un immense lilas gaspille ses étoiles
Et les mains me font mal
D’être si jointes
Sur la peur
De ne point recueillir pour toi
A ces sources perdues
Ce mot,
Ce mot
Sueur du cœur vert voyageur
Et toujours si plein du nôtre
O toi,
L’Inconnu

 

Oui

Je t’offre
Le soleil
Dans la coupe de mes mains
Tendue parmi les saules
Où mon geste fait une trouée.
L’heure est mauve.
Nul oiseau
Mais une source
Ou les feuilles
Et, dans le creux de ma main descendue,
Cette larme de soleil
Comme l’écho d’un

Oui.

 

Il bruine de l’aubépine
Il bruine de l’amandier
Et des fleurs de pêcher,
Il bruine de la clarté.

Mon cœur est un éventail japonais
Dans l’empire printanier.

Mais ces pas sur le pavé,
Mais ce talon qui se répond.

Il bruine de la pitié
Il bruine de l’amitié
Et l’espérance de l’été,
Il bruine d’un chemin lacté.

Mon cœur est une branche de palmier
Dans l’empire du sourire.

(…)
Il bruine du sourire
Et des folies de rossignol
Pleuvent du ciel au sol
En pépites d’or.

 


SEMENCE

La terre souveraine à mes pieds reverdit
Sous le linceul du ciel jaloux.

L’inusable amour du lierre étreint le chêne,
Et je frémis jusqu’aux racines
D’un souvenir de glycines
Où riaient mon père et ma mère.

Et je frémis jusques aux nues
Des hirondelles revenues
Battre le blé de la lumière !

O terre, ô ciel, mon pain, mon eau de chaque jour,
Et moi, prisonnière de l’infini,
Graine d’amour, de quel semeur ?

Revue Terre à ceil - Véronique Elfakir

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