Poèmes comme ça d’André Dhôtel
Pour André Dhôtel au cœur même de la vie se trouve autre chose, un espace de lumière qui ne se découvre qu’à de brefs moments à la faveur d’une éclaircie ou d’une illumination. La littérature est pour lui ce qui permet ce passage entre le quotidien et le merveilleux. Mais il ne peut s’effectuer qu’à certaines conditions : il faut accepter de vagabonder et de sortir des sentiers battus pour trouver cette dimension secrète de l’existence où tout semble s’éveiller.
Ainsi Désiré Belcant dans Vaux étranges a des visions ou une autre perception de la réalité. Il perçoit la dimension profonde de chaque espace au point de vouloir s’y fondre et « devenir un corps livré à des lumières instantanées ».
Le poète pour Dhôtel dessine un chemin vers l’inaccessible qu’il ne peut cependant atteindre : pays où l’on n’arrive jamais en définitive… l’errance souvent permet de brefs instants de révélations au détour d’un chemin à condition d’accepter de se perdre, d’écarter toute certitude comme pour pouvoir mieux regarder ce qui s’offre à nous. Processus qu’il décrit dans Rhétorique fabuleuse : « Le pèlerin se rend dans un lieu avec la conviction qu’un tel lieu est en dehors de tous les lieux et de tous les buts. Dès qu’il a placé le premier pas sur la route, il sait déjà qu’il se perd dans le monde, et qu’à mesure qu’il avancera il se perdra de mieux en mieux. Une science subtile de l’égarement illuminera les plus humbles choses… »
Contrairement au roman, une histoire à finir… La poésie est pour lui un art du commencement et « ce qui nous laisse au bord du jour/sans savoir ce qui va/peut-être s’éclairer », écrit-il dans Poèmes comme ça. Dans l’émergence d’un pur instant qu’elle laisse apparaître comme la fraîcheur d’une aube sans cesse renaissante, elle se tient à la bordure de toute révélation et ne fait que suggérer l’indicible : « Ce qui ne fut jamais dit/et ne le sera jamais. » Il compare ses poèmes à des graines : « (…) graminées folles/avoine, orge ou fétuque/qui n’existent que pour n’avoir/aucune raison d’exister ». Créations aussi spontanées et dénuées de sens que celles de la nature qu’il convient de recueillir en leur apparition et non pas de cueillir selon P. Jaccottet pour qui la poésie est également semaison ou floraison. D’où le titre sans doute du recueil Poèmes comme ça comme des surgissements spontanés, dénués de toute intentionnalité. Cependant en exerçant notre regard à voir autrement, la poésie nous ouvre à une dimension autre de l’existence dont nous ne pouvons capter que qu’une « lueur première/éblouissante et foudroyante ». Le poème ainsi nous mène sans cesse au seuil de quelque chose qu’il ne peut cependant franchir : « Le poème/veille à la porte de la maison » Il ne peut que rester l’expression pure « d’un désir d’apparaître », une épiphanie. Il faut s’exercer à regarder vraiment, pleinement « jusqu’à ce que le regard/se retourne vers nous » et c’est cette intériorisation, ce retour vers soi qui donne naissance au poème.
Le poète en son dénuement « n’offre au monde que quelques phrases comme dans le creux de la main ». La pauvreté, l’humilité ou la marginalité forment une sorte d’ascèse permettant la vision et le passage vers une autre dimension dans une sorte d’éclipse de la réalité ou d’éblouissement : « Il rêva qu’il cherchait un nom qu’il avait déjà cherché jadis (…) Un nom qui était tout à fait inconnu et impossible à prononcer, semblable à une fleur ou l’infini. » écrit-il dans le roman Lumineux rentre chez lui. Ce nom à jamais perdu serait comme un pont entre le fini et l’infini, le sensible et l’invisible et à ce titre reste introuvable. A l’image de ce poème où l’écriture devient la quête d’une révélation qui sans cesse se dérobe : J’écris rien que pour retrouver/en quel lieu j’eus la révélation/parce que j’ai oublié ce lieu/ainsi que toute révélation./Alors selon l’usage/Je célèbre l’inconnu/pour tant bien que mal/assurer mon existence./C’est l’utilité des fantômes/que de figurer ce qui/n’a jamais eu/ de figure/et se doit de naître au jour.
A l’image de Gaspard dans Le pays où l’on n’arrive jamais, il faut également être attentifs aux signes qui apparaissent sur la route pour éprouver l’éveil : jardins, fleurs, chemins sont vécus comme des épiphanies :
Faites confiance aux myosotis,
à la guêpe d’or, aux brouillards
inondant la vallée
d’une clarté immobile.
Faites confiance aux pucerons
bientôt montés au faîte
de la cérulée bleue
enfin au bourdon sagace
qui fit un détour magique
vers l’espace des aigles.
Par ailleurs l’alliance patiente
des fourmis nous aura tracé
l’interminable chemin
vers une maison fortunée.
C’est ainsi que nos mots dérisoires
nouant leurs anneaux pourraient bien
nous relier au royaume
des célestes certitudes.
De sorte que voir pour lui serait toujours « voir à travers » comme le ciel traverse le feuillage d’un arbre. Et même si le vrai lieu n’est jamais atteint, ou le mot perdu toujours à retrouver, il reste toujours la trace et l’espoir d’un chemin « Sans l’espérance, on ne trouvera pas l’inespéré qui est introuvable et inaccessible. »
Revue Terre à ciel - décembre 2025