Alain Vircondelet – Des choses qui ne font que passer – L’enfances des arbres, 2022

A l’image de ces trains souvent empruntés, La vie est pour Alain Vircondelet, passage fulgurances, apparitions que l’écriture se charge de recueillir. Entre offrandes et émerveillement, ces poèmes ferroviaires regardent passer le temps et défiler les saisons, célébrant l’éclat d’or des champs au mois de juin, les amandiers en fleurs ou l’austère hiver dépouillant le paysage mis à nu : "Je reprends la route, je suis seul, le train file sur ses rails d’acier : jusqu’à quand de ma vie, les arbres de la ligne, les villages et les champs, les animaux et les routes, les lacs et les forêts, et le tulle vert des herbes naissantes ? (…) Tenter de retenir tout ce passage lui aussi « à grande vitesse » de mots et d’images, saisi dans leur apparition, dérobé à l’impermanence du temps, englouti au premier regard, ressurgi au passage suivant, à chaque fois neuf, réverbéré par les saisons, familier et étranger à la fois, et puis rendu à la claire voyance des mots, à la douceur des poèmes. »
A travers ce voyage poétique, ce sont autant de moment de grâce ou de consolation qu’ainsi le poète nous offre en saisissant ainsi sans cesse, quelques éclats de beauté ou d’émerveillements, fidèle en cela à cet héritage transmis par Marguerite Duras : « Dans ma jeunesse, Marguerite Duras qui fut mon initiatrice en toutes choses, tout en lisant mes premiers poèmes, me parlait de la nécessité des dons et des offrandes, des émerveillements et des apparitions. C’était, disait-elle, depuis des forêts obscures qu’illumine quelque étoile logée comme une clairière au plus loin des routes, celles où s’aventurait Racine, que surgit le poème, qui n’est jamais une idée, mais seulement un chant. (…) L’émerveillement, oui, il fallait être dans cet état-là, de l’apparition, comme Duras l’expliquait, et celui de l’accomplissement des promesses.. . » Ces apparitions constellent ainsi le recueil à l’image de ce ciel défilant sans cesse par la fenêtre du train, ultime métaphore de l’existence qui se déroule comme ce long paysage changeant sous le passage des saisons que le poète nous donne à contempler en de lumineuses images.

Extraits :

Consentir aux flux du temps
Quand la mer immense des champs
Déploie ses vagues incessantes.
S’y baigner avec le couchant.
La coulée profuse
De vert et d’or
Dans la bienveillance de juin :
Comment ne pas voir
Dans sa clair royauté
La trace des premières aubes
Naissantes ?
Et la douleur tremblante
De son propre effacement ?

La gloire éclatante
Des coquelicots
Egarés
Sur un lopin de friches.
Au milieu des blés,
Retentit
Le cri joyeux
De leur vie

L’ivresse des oiseaux
Ne distrait pas
L’heure pâle
Des matins de juin.
Pas davantage
Les cimes vertes
Des droits peupliers.

Jusqu’où portera-t-il ses branches
L’antique marronnier
A peine entrevu
Pour soutenir l’aplomb incertain
De nos vies ?
Sous son ombre, elles s’y faufilent
Et veulent croire à leur éternité
Illusion heureuse des jours d’été !
Accepter de s’y méprendre

Demander à l’or paisible d’octobre
De repousser
La menace
Pour que mes yeux
Puissent encore s’éclairer
A l’étincèlement
De ses rayons.

Se souvenir
Des amandiers en fleurs de l’enfance
Quand en une seule nuit
Leurs senteurs s’évadaient
Des ravins sauvages
Recouvrant la ville,
De la blancheur drue
De leur chaux vives.
Être de ce éclosion

Pour que les mots
Rejoignent la vigueur
Paisible
Des blancs pétales.

 
 

Les coulées d’or
Des colzas
Dévalent
Sur les champs inclinés,
Des nuées d’oiseaux
Célèbrent leur retour,
C’est l’avènement docile du 
Printemps.

Revue Terre à ciel -Véronique Saint-Aubin Elfakir


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