Brigitte Maillard- Le mystère des choses inexplicables – Éditions Monde en poésie, 2021


Dans ce dernier recueil qui constitue une sorte de texte testament, Brigitte Maillard nous confie ses dernières pensées face à cette épreuve ultime déjà abordée dans son précédent recueil L’au-delà du monde que constitue la traversée d’une fin de vie… Mais la grâce de Brigitte est d’avoir su transmuer jusqu’au bout cela en don de lumière et en gratitude. Nulle amertume, nulle révolte, sous ses lignes juste le pur jaillissement d’une vie qui s’émerveille encore et toujours jusqu’à bout du bout, aux confins du dernier souffle…

Ainsi nous dit-elle en ses dernières pensées que la poésie est Mystère et combien sa vie se sera approfondie en cette quête. Aux portes de l’infranchissable surgit l’ineffable amour, cet amour qui est « absence de désirs », pur moment de grâce… : « L’amour comme une envolée intérieure, le chant de l’autre, la vie future, le rêve sans fin, la portée des astres, le ciel qui vient vers vous, la douloureuse espérance et le regard sacré des anges. Grâce à lui tout s’illumine. » 

« Au stade ultime, nous avoue t’elle, au déclin progressif de son corps se substitue une sorte de « joie cellulaire », un rêve de fusion ou de dissolution dans un grand Tout Immémorial où il ne s’agirait que d’appeler ou convoquer la lumière de ses cellules » Comme si ainsi se résolvait pour elle l’énigme de toute vie se difractant en atomes et comment ici ne pas penser à Rumi ? Ainsi s’interroge t’elle : « Ai-je trouvé en moi ce qui ne meurt pas ? » Rejoignant ainsi également la poignante quête de Catherine Pozzi pour qui la clé se trouvait dans cette atomisation de nos corps qu’elle voyait comme un vecteur d’éternité, fidèle en celà à la physique quantique sur laquelle elle voulait fonder sa poésie et sa quête spirituelle.

Sans cesse irradie dans son œuvre cette constante volonté de ne pas céder à la nuit et de célébrer la beauté, fidèle en cela à la pensée de François Cheng si souvent méditée…  « On ouvre les portes du monde avec ses engelures et soudain, au bord de cet immense scénario capté par la lumière du jour, une douceur inaltérable meurtrit l’horizon. Le jour est bleu. Nous sommes de ce monde, mais rien ne le révèle. Le mystère est là. » Et comment ne pas être irrémédiablement bouleversés par la fulgurance de ses derniers vers : « Relève la tête/Étrange beauté des phares/Etrange lenteur de la tortue/Je ne suis pas de ce corps, je suis l’aurore de mes étés. Donne-moi l’appui du vent et des pas cadencés sur le sable. Donne-moi la profondeur du temps, et la joie de renaître au sel de ton odeur. Le soleil t’a nommée liberté, fleur de silence, membre de dieu. Nous ne sommes plus loin de la vérité » Cette vérité couperet qui s’oppose à ce mystère qui est vie… c’est parce que nous ne savons pas que nous pouvons ainsi créer, aimer, avancer à travers ce doute salvateur porteur de désir… Toute vérité est tranchante et cruelle à la mesure de ce qu’elle nous dénude de cette enveloppe d’imaginaire qui nous protège de l’intrusion du Réel… Jusqu’au bout Brigitte aura interrogé cette énigme de la vie qui consiste selon F. Cheng en ce travail de l’âme en quête d’elle-même, de sa propre réalisation : « Nous sommes le but de nous-mêmes, travaillé par l’absence, sculpté par la présence. Un point dans l’infini, uni par un magistral silence. Écoute ce mystère/ta renaissance est là/docile et écarlate. (…) La vie n’est belle que si tu la désires. Elle t’appartient totalement et te donne sa liberté consciente et rêveuse, sa tendresse insoumise, sa transe magnifique. » Jusqu’au bout il ne s’agit encore que de célébrer ou magnifier la vie, fidèle en cela également à la voie frayée par Catherine Singer pour qui il nous appartiendrait avant de partir d’effacer toute douleur lié à notre passage sur cette terre pour qu’il ne reste plus de nous qu’un brasier de joie. Ainsi n’a-t-elle de cesse que de scander ces derniers messages de délivrance : « Sois celui que tu aimes, celui qui tremble à genoux. On va au contact, guidé par la conscience, porté par la joie de l’amour. » Ainsi cet entrelacement entre nuit et jour, mort et vie revêt pour elle la couleur d’un vitrail, un tressage de couleurs dont elle n’a de cesse de célébrer l’énigmatique clarté et j’entends raisonner encore sa voix qui nous exhorte à vivre toujours plus intensément tant que cette joie nous est encore donnée : « Mets-toi au clair du monde sur la paroi du songe/Mets-toi chaque jour devant la vie, reçois ses richesses, elles te sauveront. Pousse dans ton cœur et tes racines cette belle habitude. Rien n’est plus beau que l’amour, il sauvegarde notre être car il est de toute éternité. Son regard est soyeux. (…) Que l’arbre à découvert apporte l’eau fraîche en vos jardins. Chante, dansez, n’ayez pas peur du jour. (…) Rien qu’un peu de blé d’écume, une lumière à couper le souffle, à enivrer mon cœur. »

Ainsi tout au bout du voyage, arrive au dernier seuil cette prescience ou cette espérance de la fin : « Ma vie ne sera plus qu’amour. Et dans cet apaisement je me retrouve enfin ». Ce recueil magnifique et poignant nous offre également en partage l’éclat de ses phrases au déroulement de mer et d’embruns, de vent et de sable : « Mer, éveille mes cellules, redonne-moi la beauté. Que le temps se désagrège, que je puisse enfin me voir. Grâce à l’instant, au soleil retrouvé. Mer, redonnes-moi les couleurs du champ éclairé de tournesols. Cet horizon est ton immensité, le ciel de nos joies et de nos jours si peu dévoilés. De sorte qu’il ne s’agirait désormais « que de manger le soleil », une façon de poétiser la mort. Toutefois en ce franchissement dernier, seule l’écriture permet de ressusciter ce qui fut. Écrire pour que la vie redevienne ce qu’elle n’a jamais cessé d’être. Redonner voix à qu’il reste encore en nous d’enfance récusant ainsi toute fatalité car il nous appartient à tous de trouver notre chemin ou de le retrouver : « personne ne nous défait de nos vœux d’enfance : préparer le chemin vers les cimes. » Et sans doute seul cet amour sans cesse invoqué, scandé permet-il d’espérer franchir cette porte avec dignité, force et courage, humains désirants jusqu’au bout, toujours debout, toujours dans la lueur de l’espoir comme s’il ne s’agissait simplement que de franchir un sas où enfin s’accomplirait toute la somme de nos possibles : « Il y a de l’amour dans le rêve dont le corps se saisit pour vivre sa souffrance et aller au-delà, respirer tout en haut des cimes. Respirer l’eau puisé dans ses racines. (…) Quand le corps est épuisé dans sa chair, les étoiles le pénètrent. (…) Si nous sommes, ainsi qu’elle l’écrit le mystère de nous-mêmes, il nous reste à nous accomplir, à trouver notre voie à retrouver l’émerveillement toujours renouvelé d’un regard neuf et ainsi « reprendre un peu de ciel dans sa main ». A travers l’épreuve se dessine enfin la voie de la transmutation comme s’il ne s’agissait que de transformer l’or en plomb : « J’entre jour après jour dans la mystique, ce point de rencontre entre l’absolu et l’homme. Cette connaissance acquise par l’expérience me transfigure. Il aura fallu que je m’immerge longtemps dans la maladie pour en extraire l’essence. »

J’avoue n’avoir pas pu lire ce texte de son vivant car je savais qu’ainsi elle m’adressait son dernier message mais combien à oser affronter l’idée ne notre propre disparition, nous en ressortons plus vivant, c’est ce que je comprends maintenant à ce moment même où j’écris et où j’ai cet étrange sentiment qu’elle me sourit encore par-dessus mon épaule… Merci Brigitte pour toutes ses merveilleuses transmissions….

Extrait

Écrire en poésie 

Nous sommes invités à plonger dans le corps du rêve qu’est le poème. Au fil des mots, ce langage du monde vu de l’intérieur nous entraîne. La chanson est douce. Nous la comprenons et il nous prend un coup de féerie. La lampe est allumée. La femme assise, silencieuse. Les mots sont éparpillés sur le sol. De la main gauche, elle tire de son cœur de fines lettres qui allongent le fil fixé à la lune. L’index droit imprime sur le papier un mouvement qui fait tourner les lettres sur la page…et la lune descend. (…) La présence de la poésie nous élève. Il y a quelque chose de mystérieux en nous que l’état de poésie nous permet d’approcher. L’instant est précieux, la respiration aussi. Le poète ne ramène-t-il pas l’homme à la vie ? Au fond, écrire des poèmes n’est-ce pas dépasser la nature du monde ? Découvrir cette frontière entre « Pays rêvé, Pays réel », titre d’une œuvre du poète Edouard Glissant ?

Tu n’en peux plus de vivre ?
Détache-toi du monde
Remets ton corps en mémoire de lumière


Véronique Elfakir - Revue Terre à ciel 

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