Marc-Henri Arfeux – Verger du cercle dévoré – Editions Alcyone – 2021

Le titre d’emblée nous indique la tessiture du recueil : il y sera question de deuil, celui de la mère plus qu’aimée, adorée et du paradis perdu de l’enfance, ce verger dévoré par le temps et dont seul le souvenir peut ranimer quelques reflets. A ces « matin de mère tissant les roses/Par don de source et d’alouette »ces matins d’amandier et de parfum de robe ouvrant l’été se substitue désormais l’image de la mère devenue « cierge étonné » tandis que sur le siège la robe s’évanouit… La délicatesse ou la grâce des images vient contrebalancer l’effraction redoutable de ce réel de la mort où de la présence il ne reste que quelques vêtements comme oubliés dans les armoires du souvenir… Avec la disparition de la mère s’enfuit l’enfance, celle qui portait baisers, lilas, devient la « transparente ». L’hiver devient alors la saison d’une douloureuse absence : « Silence est le santal/Un seuil cherche visage/à l’invisible de la neige. » La blancheur de la neige évoque le givre de la disparition, la blancheur d’un vide douloureux mais qui peut aussi se lire en une sorte d’espoir comme une porte, un seuil ouvrant sur une autre dimension. Peu à peu à la douleur terrible, à cette soif sans fin de sa présence, se substitue une sorte de vénération élevant la défunte au statut d’idole ou de déesse… Un tissu de métaphores subtiles vient masquer et contrebalancer ce couperet inéluctable du départ comme un coup de scalpel. Ainsi se referme le jardin de l’enfance « sur la brûlure de l’amandier. » Au fur et à mesure que le travail de deuil s’opère, les images s’allègent, la mère devient « l’étoilée », sa voix d’eau pure surgit dansinfinie de cette tendresse maternelle. Les souvenirs heureux ressurgissent à l’image d’une sorte d’Eden perdu : « Une aile à tes paupières/Et le jardin rouvre les seuils. » Le recueil se termine sur une floraison de sensations retrouvées évoquant subtilement la luminosité du foyer disparu, traces vacillantes et précieuse de ce qui reste encore de présence, quelques fragments à retrouver, à cultiver dans ce verger de l’enfance indéfiniment cultivé à travers le souvenir de l’absente. Un magnifique recueil pour convertir la douleur en un jardin lumineux et délicat, aux couleurs du ciel et de l’amour retrouvé en une écriture évanescente et raffinée.

Extrait

Le monde fut cercle
Entre les doigts
Qui lui donnaient azur,
Matin de mère tissant les roses
Par don de source et d’alouette.

Et l’amandier d’alors,
Agile et mince comme un danseur,
Les yeux de cils et de lumière
Liant d’un trait,
Parfum de robe ouvrant l’été.

Puis à l’épée d’une heure,
Le cri du toit rompu,
Et celle qui était mère
Devenue cierges étonnés,
Chemin sous le soleil,

Blancheur des nuits
Infiniment sableuses
A dénombrer les nombres,
Tandis que sur la chaise,
La robe évanouie.

Et toi, fiancée du sel,
Portant le non enfant,
Tu regardes venir
La longue vallée des jours
Conduisant au bûcher.

L’enfant de la lumière
Ouvre l’amande,
Et le verger devient
Ce double fruit d’espace.

Voici les roses, le chat couleur,
L’eau pure baguée de neige,
Et la bougie,
Très pâle, devant ce jour
Qui se souvient d’immémorial. »


Véronique Elfakir - Revue terre à ciel 


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