Silvaine Arabo – Capter l’indicible – Paris, Rafael de Surtis, 2021
Comme le titre nous l’indique, ce recueil nous ouvre sur cette dimension autre, cette limite ou cette frontière que Silvaine Arabo nomme « l’indicible » vers lequel tend le poème. « Trésorière de la lumière », elle ne veut plus désormais qu’aimer ce qui s’offre au regard dans sa magnificence ténue et délicate : une aile et son reflet, l’éternel automne parmi la blancheur nue des chrysanthèmes, l’eau fluide et bleue, les arbres dans le vent, les étoiles lointaines, la voie claire de l’aimé. Peut-être ne s’agit alors que de se fondre ou fusionner avec l’univers, devenir à son tour paysage, passage ou seuil dans une perpétuelle célébration de la vie : « Narcisse reflété sur la tige frêle du temps/La rose en ses pétales concentrée te le redit/L’univers est en toi. » Pour qui sait regarder de tous ses yeux, « l’ici devient alors un ailleurs » qui nous embarque vers la beauté, un festin qui nous est offert à travers d’infimes détails : « ces miettes d’argile et d’eau ». L’objet de la quête ultime serait alors de se fondre dans cet univers, redevenir aussi léger qu’une bulle dorée, une particule de joie revenant à son origine… retrouver la mer, l’enfance, « les grands portiques sous la lune », passer la porte d’un jardin pour arriver en cet espace innommable où il n’y a plus de métaphores, où se dissout le langage, où il n’y a plus qu’une simple transparence de cristal, un « pointillement aux lois inconnues » comme un reflet d’or pur sur l’eau, un scintillement évanescent. En cette profondeur bleue, mer originelle, tout devient alors signes, souvenirs retrouvés de la flamboyance de l’été, des éclats de rire dans la mer, de l’amant… Ainsi s’offre cette fleur unique de la mémoire qui assembles toutes les images pour en faire un bouquet, un chant jubilatoire « parmi les feuilles » où se rejoint enfin toute la vibration du monde, où le moi se dissout en de subtiles couleurs ou modulations… où tout devient plus précieux de n’être qu’éphémère… En ces pétales tournoyantes de la vie étreinte en ses plus infimes détails, enfin ressaisie dans toute sa splendeur, en ce grand océan cosmique, il convient de capter, de transcrire ce bruissement du monde pour atteindre ce que Sylvaine Arabo nomme « le chant des Transparents »… Ultime métamorphose qui s’apparente ici à une permanente célébration de ce qui fut donné, éperdument recueilli, aimé, afin de rejoindre enfin cette sorte de clarté initiale où toute chose se dissout en particules de lumière. Et ainsi de tenter alors d’effacer la souffrance, la convertir en une sorte d’aube triomphant de la nuit, de musique ajourée pour ne garder que la flamboyance : « Et puis/marcher dans la forêt/Tout seul/Descendre doucement vers le fleuve/Pour s’y infuser/Mine de rien/Pour s’y dissoudre/Pour entendre de nouveau/La musique inaudible de son enfance…/ Et tout oublier – même soi -/ Devenir/ La mémoire des choses, des êtres, du silence/, De ces étranges vibrations colorées qui traversent l’espace/Pour le nourrir. »
De ce magnifique recueil, qui aurait pu tout aussi bien s’appeler « le Chant des transparents », de ces poèmes, à l’écriture à la fois ciselée, épuré et incandescente, l’on voudrait tout citer, tout retenir pour ne garder nous aussi que le pur flamboiement de l’amour.ExtraitsTrésorière de la lumière dans l’ombre bleue des soirs
Use
Tes dernières forces
A n’aimer désormais
Encore et encore
Que l’aile et son reflet
Et l’eau de la rivière
Quand reviennent les grands oiseaux blancs
Qui te font chavirer
Tout près des miroirs
Cet éternel automne
Parmi la blancheur nue des chrysanthèmesTu voudrais aujourd’hui
Que de la psalmodie des cendres
Renaisse un oiseau léger
Que la syllabe habitée
De nouveau vibrante
Fasse éclore sur le sang
Des roses de neigeTu voudrais relire le passé
A la lueur des signes
Posés à présent comme des vagues
Sur le manteau
A double-face de ces vagues
Des orgues vibrantes
Dans de longues nuits obscuresAinsi voudrais-tu témoigner
A travers les jours qui courent
Vers leurs sommets splendides
Et leurs proues rauques
De marins féroces
Et leurs lunes désertées
Roses à l’envers
Ainsi voudrais-tu dire
Ces voix jadis familièresEn un abîme
PerduesAfin que puisse éclore
-Vertige oublié-Le chant des Transparents
Silvaine Arabo – Au fil du labyrinthe suivi de Marines résiliences – Paris, Rafael de Surtis, 2018
Ce recueil du deuil, ce temps de pause où le temps se fige, s’arrête sous la mousse du souvenir, Silvaine Arabo en déroule le fil dans ce texte multiple… A cette mort qui coupe le souffle en une image saisissante, « étouffer dans un cercueil tout neuf » s’oppose une vision florale qui vient contrebalancer cette lucidité tranchante qu’aucune image ne saurait pouvoir suffisamment recouvrir, cette réalité d’un corps soudain déshabité… comme vidé de sa substance. Il conviendrait alors pour réparer cette insoutenable blessure, de « Voir le monde du regard de la fleur », le convertir en musique pour oublier que la terre un jour nous reprend et s’acheminer ainsi dans cet espace d’ombre et de lumière où ressurgissent d’anciennes mélodies…Il faut toutefois continuer à vivre, à avancer et proclamer que « rien n’était plus beau que le rire ». L’écriture tente de suturer l’absence, de porter en soi pour mieux la faire revivre celle qui s’en est allé : « Tes yeux sont comme un faux sur le revers de ma vie/Tu t’absentes et je suis là présente pour deux/papillon dansant sur le rebord de tes absences. » Des images s’imposent alors pour tenter de nommer la perte, de l’apprivoiser : « il me reste tes mains/tes mains seules » Il reste cependant un sentiment de fracture irréparable : « on ne ressent plus rien comme autrefois », « sous les feuilles l’absente fait un grand trou » Peu à peu toutefois surgit un certain apaisement : « Ainsi parmi les aubes, une autre fleur qui se lève, et l’unique, pour saluer, pour naître : une aile d’écume et d’oiseau » S’accomplit alors enfin ce long et difficile travail de deuil, avec le retour progressif de l’acquiescement à la vie, à l’amour tel qu’il s’exprime en fin de recueil en une vibrante et sensuelle adresse afin qu’en définitive ne soit pas le ce réel tranchant de la mort qui ait le dernier mot mais bien cette douce suavité de l’existence tel qu’elle ne peut se découvrir qu’à travers l’être aimé. Ainsi s’inscrit sous forme de marines ou de tableaux subtils une certaine forme de résilience : « Et puis les mouettes sur le désert de sable mouillé, muet comme au premier soir du monde, /muet de cris d’oiseaux ivres et solitaires./Derrière, c’était plus intime : des dunes dores sur un ciel d’encre percé de petits points brillants. C’était le baiser nuptial où la seule vérité qui vaille la peine d’être assumée se montre à nu, claire et vivante comme le baiser d’un homme et d’une femme. »
ExtraitOn pourrait dévisager la route rien n’arriverait
Tu dors au sommet de toi-même tu dors
Aux coupures des arbres tu dors Ton sourire
Me fige
Au milieu du ciel et des fleurs inattentives.Instable j’erre d’oiseau en oiseau
Tu es verticale et très grande tu coupes
Mon cœur en deux je pleure
Comme jamais je n’ai pleuréSans une larme
Immobile
Et penchéeJ’ai dormi sous les arbres anciens, près des étoiles : il n’y avait pas de puits mais l’eau était profonde, semblable aux sources que, jadis, j’avais rencontrées dans mes rêves ou dans une vie qui m’échappait. (…)
Dans l’isolement du sommeil j’ai cru reconnaître la Beauté du monde : tu n’étais pas différent de lui. En t’aimant, j’aurais pu percer son secret. Mais il commençait à faire froid. Et nous sommes rentrés.…le silence est le fruit caché de la parole
Véronique Elfakir- Revue Terre à ciel
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