Lara Dopff – Ainsi parlait Larathoustra – édition Phloème – 2022
Pour Lara Dopff, le poète est un être errant, un wanderer, arpentant la terre pour mieux s’en enivrer, s’y perdre parfois pour mieux se retrouver, s’enivrer de sa beauté dans l’urgence de vivre. A ce rythme cadencé du pas, répond la pulsation vibratile du style, comme un cœur ou un tambour battant. Chaque poème semble ainsi s’ancrer à la fois puissamment dans le corps tout en cherchant à fusionner avec la nature qui nous entoure, à sortir hors de soi pour retrouver une sorte d’unité primordiale ou originaire.
De ces deux aspirations naît une tonalité ou une tension particulière où s’entremêle le concret de la route et de la découverte avec des interrogations portant sur notre être au monde, le rôle de la poésie. Rien de désincarné cependant dans ce recueil où la sensualité se déploie en un très beau texte ardent où il ne s’agit plus que « d’être suffisance à son corps, en vivre. » Peut-être alors convient-il de développer une sorte d’étonnement permanent, dans l’acuité d’un regard toujours renouvelé, propre au poétique et également à la philosophie ainsi que nous le rappelle le titre, non sans humour….
Lara, est elle-même de ces êtres qui arpentent la terre, « vivant dehors sous un ciel libre » et traçant chaque jour les éléments qui l’entoure dans un carnet. Pour la voyageuse qui change sans cesse de pays et de langue, de mets, de vêtements, de religion, l’écriture est d’abord et avant tout physique. Cette pérégrination la conduit cependant à éprouver l’âme même du monde qui traverse et transperce chaque être de tout temps et à travers toutes les civilisations en une sorte d’universalité.
Elle trouve son incarnation toutefois en chacun d’entre nous comme si c’était une première fois toujours renouvelée, à travers chacun de nos regards singuliers, les sens aux aguets, pour mieux s’enivrer de l’existence. A travers ces expériences, il s’agit de se nourrir intérieurement dans une sorte de joie devenue intemporelle, pour que « la poésie surgisse de la vie même et que son matériau soit le monde. » Elle permet ainsi de fixer ou réfracter ces éclats de lumière ou ces éclaircies qui surgissent parfois à la faveur de la nuit où les frontières semblent disparaître, pour à la lisière, laisser place au chant : « dans les bosquets anciens, / à l’apparition des nuits, / à l’instant où le lecteur ne peut poursuivre et relève la tête, / nous entrons dans la lisière des chants. (…) Ouvrir paupière / et percuter le monde. » Il s’agit alors de revenir à la saveur de l’instant pour n’être plus que pulsion et percussion de l’univers, retrouver « le vif, les senteurs »comme pour mieux s’ouvrir et atteindre l’essentiel, le cœur même des choses dépouillées de toute parure : « frappe le fer /martèle / ne laisse que le nu, /l’à vif, les pétales ouverts/ demeurer. »
Loin de tout dogme, de certaines brisures parfois de l’enfance, surgisse alors parfois ces moments « d’éveil » dont la parole poétique se fait le prisme : « Vivre poétiquement, c’est l’éveil, l’instant hors (…) c’est tendre à l’immense, à l’hors de soi-même. / C’est graver, par les mots chaque instant viscéral du monde/ Vivre poétiquement, c’est naître une seconde fois. /-hors- / c’est apprendre l’un et la terre. / pouvoir rendre la pénétrante du monde/ C’est être au monde, directement au monde, /nulle enveloppe. » Ainsi son écriture redouble cette intensité de vivre qu’elle ne cesse de porter avec incandescence en une sorte d’incantation reproduisant la transe ou la danse permanente du pas qu’elle ne cesse de célébrer à chaque poème.
Extraits
"Etant de ces êtres qui arpentent la terre, vivant au-dehors sous un ciel libre et traçant chaque jour les éléments qui m’entourent dans mes carnets, changeant sans cesse de langue, de mets, de religions, de vêtements, de faciès, - entrant en les songes des différentes civilisations, je suis devenue pythie, oracle, bouche d’or, architecte, sculpture du monde. (...) Vivre, être animé, jouir de la vie, durer, subsister, se nourrir de - autant de déclinaisons de sens qui ont tendance à s’éteindre. Je penserais la vie ici en termes de nourritures intérieures et de joies sans temps, hors/au-delà du temps. (...) Le vivre-poétique ne s’applique au genre de la poésie seule, il s’applique à ceux qui sont capables de créer, de sécréter à partir de la matière brute, du matériau même du monde - soit leur vie. Mes carnets m’accompagnent en tout lieu, en chaque errance, de nuit comme de jour, à chaque instant, je puise, il m’est nécessaire de transcrire, de pouvoir tracer ces éclats qui sans cesse naissent en moi. Cette nécessité a rendu naturelle l’écriture en mouvement, dans la marche, dans le noir, dans un train russe ou indien, face aux éléments, veillant sur le feu dans un ciel libre, ou au milieu des nuits humaines... Écrire, poser déposer, sécréter dans ce petit pays qu’est la page est devenu pour moi l’instant de la naissance du sens. »
« redeviens
l’instant,
l’éphémère
- La pulsion, percussion
puis disparition.
Rappelle-toi
vent incessant
ta danse folle.
l’oublie
du sonore sur tes
tempes.
ton monde sonore,
l’écho de tes fosses.
trace le hurle du monde,
délaisse la composition,
l’ouvrage
-re-nais fragmentée,
Eclat, éclair.
violence fulgurante.
Renonce aux bâtisseurs,
reviens,
dénude-toi,
ôte les mues,
reviens,
éphémère,
belle de nuit,
saccade,
reviens »
Véronique Elfakir - Revue Terre à ciel
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