Ce blog est consacré à l'écriture poétique : poèmes, articles, notes de lecture. Il se veut collaboratif et ouvert au partage. Les textes ou articles peuvent être envoyés à l'adresse mail : veronique.elfakir@gmail.com
Dès le premier texte de Primevères fantômes, la ligne directrice du recueil est donnée : « tout doit être transformé en rêve/autrement rien. » Progressivement un drame nous sera révélé, mais dans un premier temps le poème s’ouvre sur les soleils de l’enfance et la couleur jaune de l’amour, le regard des parents ouvrant au monde et à l’émerveillement… Il s’agit alors par le récit de percer une brèche « pour ne plus avoir peur », de fendre le granit et la pierre et lutter contre cet impossible qui emporte les mots et qui nous est révélé quelques lignes plus loin : « si on aime tant les fleurs/c’est parce que maman n’est plus là ». A l’âge de l’euphorie où l’on ne peut « penser à rien d’autre qu’à la vie », survient l’effondrement et plus tard le souvenir : « et ma mère/ma mère qui marche/le regard loin/plus loin que le chemin/plus loin que les montagnes qui cachent l’horizon/ma mère qui voit à travers les montagnes/ma mère pupille de perce-roches/ma mère qui regarde au-delà du visible/ sans le faire exprès/Le regard de ma mère est une île ».
Dans le jardin ressurgit l’image d’une mère différente, heureuse « à l’ombre du tilleul/un faisceau de soleil/a avalé la mort ». Ce jardin deviendra le paradigme du paradis perdu et du bonheur : « Une prairie en pente/dans ma tête/couverte de jonquilles/il y a maman/et mon petit frère/le jaune des fleurs/chaque printemps me retourne/ chaque jonquille contient un jour en pente / le plus heureux des souvenirs/une image plantée/ au centre de l’existence », « J’aimerais aller sur la tombe de maman/pour construire un jardin ». Parfois survient le sentiment que le fantôme de sa mère parle à travers elle et fait poésie et qu’elle est non pas dans le ciel mais dans la terre, partout « où il y a des fleurs ». Ainsi la parole poétique transcende le deuil et répare l’impensable : « La poésie c’est fait pour faire des arcs-en-ciel avec les armatures de la mort. Des arcs-en-ciel- de terre. La poésie est immédiate comme la seconde à la seconde où j’écris le mot seconde. » Ainsi à travers le poème apparition et disparition se tressent ensemble comme si elles ne pouvaient s’envisager l’une sans l’autre. Le remède consistant face à une disparition « à faire apparaître autre chose » et en ce sens la poésie est une incessante épiphanie luttant contre la douleur de l’absence et de l’effacement et une tentative de réparation. Ainsi « plantes et poèmes s’accouplent comme le font les sorcières », comme pour conjurer le sort. Puis avec le sentiment amoureux, définitivement vient la rédemption qui « reconstruit tout » et « dans la clairière l’équilibriste n’a plus besoin de mourir », opposant la clarté de la primevère à la tentation suicidaire ou la folie parfois évoquée disloquant le langage dans la seconde partie du recueil : « La succession de deuils en forme de papillon m’a appris à tout accepter. Je ne fais plus de distinction entre la vie, la mort et la dégradation. Entre ce qui apparaît et disparaît. Où est la limite ? Sommes-nous dessus, corps tendu comme celui d’un funambule ? »
La fleur devient alors le symbole enivrant de l’incessante apparition/disparition qui régit le monde vecteur de renouveau, une racine s’inscrit alors contre le vertige, des pétales deviennent le berceau de la douleur… et le printemps une promesse de retrouvailles. Peu à peu survient une correspondance entre la ramification des végétaux et la façon dont les rêves se développent dans le cerveau : « Il y a des correspondances qui ressemblaient à des poèmes. Je me suis mise à creuser dans ces poèmes avec la force qu’ont celles qui creusent des puits. » La parole s’inscrit alors contre la perte jusqu’à ce point de fusion avec l’être cher dans l’espoir de perpétuer sa parole : « je voulais être elle, devenir elle pour les perpétuer. Pour ne pas qu’elleux disparaissent je voulais m’emplir de leurs sèves. » Puis survient la recherche de principes actifs du langage dans l’espoir d’une possible transformation ou transmutation. La révélation survient alors d’un buisson : « C’est à genoux devant des buissons d’aubépine, après m’être vautré dans les orties, que j’ai compris : il fallait que ça pique, il fallait déchirer le langage, ouvrir la peau. Mon travail devint anatomique. C’est ce matin-là que je suis devenue chirurgien. Il fallait transformer les organes de la langue pour que les poèmes transmettent le désir et l’énergie vitale, qu’ils puissent digérer, respirer, se ramifier, se battre. Je voulais tous nous voir devenir des fleurs. Je rêvais que des papillons pissant des alphabets de lumière s’envolent de nos bouches. J’étais pour la mutation définitive. Pour que l’opération fonctionne, il fallait des poèmes qui puissent donner le courage de la métamorphose. Les fleurs m’ont appris à dire mon corps qui n’avait jusqu’ici pas trouvé de famille adéquate. Non pas que je m’identifie aux fleurs mais plutôt que leurs mouvements se rapprochent de mon langage et de la façon dont fonctionne mon esprit. C’est l’observation lente, fougueuse et répétée de certaines plantes qui m’a permis de me construire une identité. Les fleurs m’ont donné la parole ».
La création poétique rejoint alors celle de la nature dans le même élan d’expansion : « Pourquoi quand je prononce les mots prunus, citron, grenadier ou même pâquerette quelque chose dans mon corps se transforme en miracle ? Que se passe-t-il ? Et si c’était dans la réécriture de l’étreinte que se trouvait l’antidote ? Là où l’altérité se mélange à l’inexplicable. Dans les chairs et dans les fibres. Je crois que c’est ici que tout a commencé. Il y a quelque chose de plus grand que ça qui se déploie entre la plante et l’humain. Qu’est-ce qui relie la vie végétale et l’acte de langage ? L’enfant qui bégaie n’habite-t-il pas dans une fleur de tournesol ? Et le petit garçon qui crie « des fleurs, des fleurs ! » dans les bras de son papa en passant devant le bosquet, pourquoi crie-t ’il ? Parce ce que les fleurs sont magiques. Parce que ça le dépasse. Le cri vient de là, de ce qui semble plus grand que nous, ce qui est tellement grand que ça nous ouvre le cerveau en deux. C’est le début de la ramification de soi. » Peu à peu le corps écrit lui-même devient arbre, fleurs, branches, graines ou pousses et tout se rejoint : continents, astres, planètes… : « La poétesses est en fleurs » comme une nécessité pour elle de faire du désir « quelque chose de reconstructible »indéfiniment à l’image de la plante qui diffuse son pollen ou ses graines et ne cesse de renaître… L’écriture devient ainsi une incessante floraison autorisant enfin l’ouverture à la vie et au désir. Un recueil éblouissant de douleur transcendée…
Extraits
Une prairie en pente
dans ma tête
couverte de jonquillesil y a maman
et mon petit frère
le jaune des fleurschaque printemps me retourne
chaque jonquille contient un jour en pentele plus heureux des souvenirs
une image plantée
au centre de l’existence »« J’aimerais aller sur la tombe de maman
pour construire un jardin. »« Le rosier de la façade nord
contient tous les visages de la familleles roses sont toujours rouges
très rougeshier
j’ai lu Le petit prince
pour comprendre le monde peut-êtred’une certaine manière
tout basculeranous sommes en mai
sur la photographie
je me sens être l’égale du rosier »« des fleuves t’habitent
les vertèbres
tu écoutes les coquelicotssilence
que dire d’un mot
qui contient autant de sang
dans les champstu navigues sur ton bateau
de voiles pourpres et de globulescomment exister
entre le goût des fraises
et le battement des veines ? »
Véronique Elfakir
Note de lecture revue Terre à ciel- La démarche poétique- Jacques Sojcher- 10/18
Comme la philosophie, la poésie naît d’une certaine forme de présence au monde qui s’origine dès l’enfance d’un sentiment d’étonnement et de questionnement. Cet étonnement serait une sorte de symbiose entre effroi et émerveillement ou une guérison de l’inquiétude par l’enchantement. Le poète refuse la dévitalisation de la vie et veut réenchanter le quotidien.Au cœur de la question cependant réside l’impossible. Celui qui questionne vraiment sait qu’il n’y aura jamais de réponse :« Chaque mot devient le centre d’un mystère qui entraîne plus loin sur le chemin du questionnent. »C’est le maintien dans la réalité du ferment poétique qui l’exalte, la révèle, la raccorde à sa cohérence unique. Pas de culture sans risques et sans le scandale de la liberté. Il y a lieu, pense Rilke de se détourner de l’utile et pour René Char : « Le poète est la partie de l’homme réfractaire aux projets calculés ». Ici se manifeste le désir de ne pas réduire l‘homme, de lui rendre le pouvoir de séjourner autrement dans le monde. Le langage banalisé établit une sorte de pseudo-communication et de pseudo-vie où l’illusion et le factice prennent figure de vérité, où la parole ne reflète plus que nos calculs. On parle, on possède pour ne pas penser, pour ne pas entendre le silence éloquent de notre finitude. Dès lors que la question se déplace de la nature des choses à leur présence, elle se délivre de son besoin de réponse et pour la première fois peut-être regarde vraiment la vie.
De sorte que la récompense d’une question portée jusqu’au bout est l’entrevision de la présence. La création poétique est ce « mystère de l’être qui se fait image [1] » et cet éclat de la présence ne peut jamais être un séjour mais le chemin d’une nouvelle rencontre. Cependant poésie et vie ne sont pas séparables, leur aire commune est la transfiguration ou la métamorphose. Ecrire devient peu à peu pour le poète le sentier d’une déperdition et s’ouvrir à l’espace de l’œuvre, c’est oublier le « je » qui devient « l’Autre ».
La poésie nous conduit jusqu’à voir et aimer les choses mortelles dans et pour leur finitude, la nescience qui dispense de réponse. En ce point s’accomplit « la transmutation du dénuement en bien » selon René Char mais à peine cet évènement a-t-il lieu (« un oiseau a chanté dans le ravin de l’existence, nous avons touché l’eau qui eût calmé notre soif ») que déjà « l’approche de l’instant est redevenue notre exil », la présence s’est convertie en exil.
La poésie dévoile, dans le retrait de la métaphore, la relation qui, toujours plus loin, accorde. Le poète, en imaginant, dit les contraires réconciliés dans l’unité unifiante du poème. L’image intègre sans les réduire l’inconnu, l’illimité, l’étranger. Elle est le réceptacle du mystère, la sauvegarde du sacré. Le poème alors devient chant et célébration : « être ici est une splendeur », disait Rilke.
La création poétique, c’est l’être ajourné, dont l’ajournement est le visage visible du jour. Puis vient midi qui aveugle et minuit qui retourne l’œil, présence qui renvoie à l’absence, au nouveau cycle du jour et de la question, de la spirale qui rapproche et éloigne, dans un vide de normes et de prises qui pourrait être la beauté : « Que saisir sinon qui s’échappe, /Que voir sinon qui s’obscurcit, /Que désirer sinon qui meurt,/Sinon qui parle et ses déchire ?.../Parole jetée matérielle/Sur l’origine et la nuit ? » demande Bonnefoy. Le poème se présente sous la forme d’un consentement, d’une reconnaissance, d’un accueil de l’origine dans un lieu qui n’est plus l’espace usuel et qu’on appelle ici « le vrai lieu ». Ce vrai lieu, c’est l’espace intérieur du monde, le lieu de l’intégration des multiples. Il ne se conçoit que dans et par l’errance, qui est peut-être l’erreur – mais il n’est pas de pureté ni de chemin réel sans cette possibilité de l’ultime échec. C’est pourquoi Bonnefoy peut dire que « l’angoisse du vrai lieu est le serment de la poésie ».
Et telle est l’épreuve de l’absence, laquelle voue l’image, elle retire du monde et du langage de la démonstration, de l’explication, de l’intelligence superposée aux choses, pour amener vers le lieu de la monstration, où le geste simple et entier de l’apparaître peut s’accomplir, où le regard regarde, où le cœur raccorde et la parole parle : « Peut-être que l’instant est cette occultation du regard, qui détournant de l’habitude, de la convention, de la lassitude, ouvre à la lumière de l’inexplicable quotidien, à la simplicité inconnue de l’air, à la tautologie de la présence. Peut-être que dans l’aveuglante lueur de cet instant, se prépare l’évidence d’une nouvelle parole, la transparence du langage de l’être. (…) Avancé dans l’instant de la fermeture de la paupière, dans la répétition de l’aube, « Peu à peu toute joie devient nue. /On avance dans l’arbre complexe du voir…/ Peu à peu on apprend à écouter / Quelque part la chute du jasmin. »
Note de lecture Revue Terre à ciel - Roselyne Sibille – Une libellule sur l’épaule – L’Ail des ours n°25
Dans ce nouveau recueil, Roselyne Sibille poursuit son exploration des paysages et des saisons changeantes de la vie. Quand le « jour lentement/ prend appui sur les gris » émerge tout un monde de sensations et de seuils ou passages successifs à l’image de ces « deux oiseaux blancs » survolant « le fil de leur reflet ». Il convient alors de « caresser un nuage » et « d’écrire au silence » comme pour mieux s’effacer et contempler ces petits miracles ou grâces quotidiennes que nous délivre la nature en ces métamorphoses. Ainsi la lumière ne cesse d’attendre son poème, attentif au recueil de chaque signe délivré à travers ce mystère de la création que nous ne pouvons que nommer : « Le point du soleil/épine éblouissante/perce le grand discours/des arbres à contre-jour/J’avance/attentive au prochain signe/Le chêne a tracé/des majuscules en clair-obscur/Leur énigme est la même/dans toutes les langues. » De cette lecture attentive du plus infime même : fissures d’écorce, sons d’oiseaux, bruits d’eau de la rivière riant dans la vallée, vol d’hirondelle, émerge une sorte de rayonnement irradiant ou de ravissement. L’écriture devient « musique des libellules », aussi diaphane que leurs ailes tout en sachant que « les parois des phrases » restent toujours de l’autre côté. Dans le crépuscule tombant sur la montagne, émerge une sorte de paix ou de fusion où il s’agit alors d’écouter « chuchoter le cosmos » et d’en recueillir les pétales. Le poème se fait alors écho de l’univers, en résonance avec ses parfums, où il suffit d’une seule graine de lotus pour déployer un rêve et inventer « la carte des levers de soleil ». Peu à peu le poète vécu comme un scribe de toutes ces images déployées disparaît et c’est les nuées même qui écrivent le poème ou « la grenouille rousse ». Dans « la main vive du monde », les « phrases se cachent et se replient », « l’arbre éparpille/un alphabet troué » mais à l’image du vent comme une calligraphie, le pinceau se doit d’être léger comme une encre de Chine car « regard au ciel/on sait/Personne ne démêlera la joie. »
Extraits
« Le point du soleil épine éblouissante perce le grand discours des arbres à contre-jour J’avance
Attentive au prochain signe
Le chêne a tracé
Des majuscules en clair-obscur
Leur énigme est la même
Dans toutes les langues »« Dans les fissures d’écorces
Je tente de lire
De comprendre
Ou d’entendre
De trouver
En moi
Une traduction »« En arrêt
Ne pas déranger
Orteils hésitants
Le poème d’automne
Agencé par les brindilles
Sur le sol »
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