Estelle Fenzy – Une saison fragile – Editions La Part commune, 2023

"Léonard Cohen disait que c’est à travers nos failles, que la lumière peut entrer… Estelle Fenzy en fait en quelque sorte le mot d’ordre de ce recueil qui d’entrée revendique avec grâce et délicatesse sa lumineuse fragilité librement assumée. A la rencontre de sa propre vie, le poème tisse l’étoffe des jours pour « sauver/ un instant de paix intérieure/ dans la houle du monde ». Au détour d’une phrase revient l’éclat d’un souvenir comme le fantôme étourdissant d’une présence réelle : « J’ai gardé/tes chaussures préférées/pour que tu reviennes/marcher dans mes rêves ». Avec délicatesse se ressuscite des présences, par petites notes ou traits à la façon d’un tableau impressionniste : « Il y a des mots/qui meurent/avec les gens/Je n’ai pas dit/Papa/depuis longtemps ».
Ainsi l’écriture ne serait être le chemin définitif mais peut-être juste une direction à la façon d’une boussole ou à la façon du jour qui se lève « si beau/qu’il n’a que sa lumière/à donner ». Le deuil qui surgit et parfois transperce la page devient ainsi « la langue du blanc, de l’espace et des marges » quand arrive ce moment de l’existence où « l’espace se retourne » et où tous « les visages enfouis/viennent quémander/leur nom. » Quand l’absence balbutie et ne trouve pas ses mots comme si tout devenait blancheur et neige, il reste quelques présences nous rappelant à la vie à l’image de ce chat qui « choisit d’aimer ». Comment penser la perte qui parfois à l’aube nous transperce : « Je pense à toi souvent/devant mon café noir/Peut-être/les âmes des morts/attendent au fond des tasses/d’être bues et reconnues. »
A l’image des marins épuisés, il s’agirait alors de crier CIEL et non plus TERRE. Le poème alors se revendique comme « un effondrement de soi/que l’on recueille et reconstruit » et qui consisterait alors « à tailler sa pierre de désir », « à désunir la nuit ». Lorsque « les vivants et les morts/font une étrange famille/une conversation du dimanche/autour d’une table d’absence », l’image poétique surgit de sa part de perte et de manque comme une sorte « de mémoire à atteindre » ou à retrouver. A la façon de cet arbre dans l’hiver qui montre « comment perdre et comment espérer. » Face à la disparition, au passage sans fin des saisons, l’on souhaiterait alors de se couvrir « de mots robustes/Mais je reste comme/le givre sur la fenêtre/ma propre raison de disparaître. » A travers les passages du temps, revient le souvenir des premières fois et des dernières. Ainsi : « Il y a/une langue/pour la nuit/une autre/pour la nuit/une autre/pour le jour/et celle qui nomme/cet entre-deux/ POEME. » Peu à peu revient le souvenir des jours heureux : « J’ai bien fait/de me lever/le soleil ruisselle/comme une femme heureuse. » Le poème redevient alors floraison : « J’ai retourné/ma terre intérieure/pour que vienne/le poème/-sa grâce sous/le poids des mots/Ce sont mes mains/qui ont fleuri. » Au-delà du temps des départs : la maison vidée de ses rires d’autrefois : « Baby blues/dépression/post partum/on prévient/on informe/on console/qui prépare les mères/à la douleur du post partir ». Un sujet si peu abordé et pourtant si prégnant… si important. Et ainsi survient alors les prémices d’une conclusion : « Vivre/est l’histoire d’une perte/Chaque jour/nous nous emplissons/de ce que nous n’avons plus. » Mais de ces brisures surgissent parfois le plus beau des textes…
Extraits :
L’amour
c’est ma robe qui tourne
autour d’un centre
qui est toi
*
Fais
comme si
les poèmes
couraient les rues
Imagine
l’un deux
trébuche
C’est lui
qui t’aide
à te relever
*
Fais
comme si
mon poème
c’était ta maison
Imagine
son toit chantant
ses murs soyeux
ta lumière calme
qui gravite"
Véronique St-Aubin Elfakir

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