Alain Duault – La poésie, le ciel – Paris, Gallimard – 2020


Dans cet essai à la fois profond et poétique, Alain Duault interroge ce lien toujours renouvelé entre poésie et beauté… A l’image de ce constant effort humain de « lever des stèles au milieu du néant  », le poème « condense de la matière », comme l’ambre peut conserver un insecte tout en n’ayant de cesse de briser cette fixité pour retrouver les pulsations de la vie ou le mouvement d’une vague qui retombe.
Ainsi la poésie serait à l’image du ciel, immense et changeante, ouverte sur une transcendance chargée de signes, de nuages, de questions sans fin : « Elle délivre en fait le témoignage exacerbé d’un sentiment de la langue qui s’apparente à cette course incessante du temps que semblent figurer les nuages cherchant un sens dans le ciel. Comme si les nuages, comme si le passage des nuages inscrivait une durée dans le battement infini du temps. Pour y ouvrir quel sens ?  »
La beauté toutefois ne se délivre qu’à travers la marque de nos blessures, elle est la présence d’une « ab-sens » c’est à dire du vide de toute signification ultime. Le rôle de la poésie n’est donc pas de décrire mais de produire ou susciter la beauté travers l’expérience du langage. Elle constitue ainsi une réponse à la mélancolie et solitude fondamentale de l’homme, « inscrite dans son insatisfaction essentielle » en introduisant face à l’absence de réponse du réel, la dimension du désir. En ce sens elle est alors selon A. Duault « poésir » unissant cette pulsation toujours désirante à cette énigme portée par le poème et qui le fait poème sans que l’on sache pourquoi.

Si ce que l’on écrit n’est jamais ce que l’on veut dire mais nous échappe en définitive, la poésie est ce qui est « in-photographiable ». Tout comme on ne peut photographier le battement d’un cœur vivant, on ne peut figer le mouvement même de la vie sou peine de passer à côté…. De sorte qu’être poète, « c’est regarder le monde avec des mots » : C’est être constamment sur le qui-vive avec la langue – mais en entendant : qu’ils vivent, les mots, les hommes, les oiseaux. C’est-à-dire : que la beauté les sauve et invente une perspective qui ouvre ses portes vers des couloirs nouveaux, déplie les temps trop sages, brise la mer gelée des évidences.
Être poète, c’est avoir des oiseaux dans la bouche, courir le ciel avec eux, gravir les échelles du vent avec des semelles trouées comme un parapluie sous tous les orages du monde. C’est, guetteur mélancolique, être le front aux vitres, veilleur de chagrin sujet aux langoureux vertiges. C’est vouloir découdre l’erreur des destins et des chemins déjà foulés, prendre les rêves au sérieux, ne pas se retourner sur Eurydice pour s’arracher à une saison en enfer. »
Il s’agira dès lors de puiser la clarté dans et à travers l’obscur ou d’écrire comme la mer un texte qui n’aurait pas de fin, vagues après vagues…. Ou de se laisser porter par la force des mots qui d’une certaine façon précèdent toujours le poète, ce « guetteur mélancolique » tentant de reproduire ce troublant frémissement de la vie comme un chasseur de papillons ébloui : « Écrire de la poésie, c’est écouter les mots, les observer, être à leur écoute, s’ouvrir à ce qu’ils ont à nous dire. Par exemple imaginer les jours de pluie et de beau temps qu’ils ont connus. Écouter l’histoire de leurs voyages, des vents qui les ont portés jusqu’à nous. Chaque chose ici-bas est douée de parole. 
Écrire de la poésie, c’est repousser la cérémonie, trouver de petites réponses à de grandes questions, chercher le bouton pour allumer dans le couloir, relever le courrier des rêves, arracher les fils de cette robe d’inquiétude dans laquelle chacun danse. 
Aussi mouvante que l’azur ou les nuages, la poésie ne peut donc se laisser capturer qu’à travers l’écriture poétique elle-même déroulant sans fin ces constellations de métaphores éclairant la nuit, ce dont témoigne avec brio ce texte frémissant et sensible d’A. Duault.


Véronique Elfakir - Revue Terre à ciel

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