La minute illuminante d’André Hardellet

« Nul besoin d’aller très loin pour découvrir le large »

A travers ses écrits, André Hardellet nous livre le secret de sa méthode pour atteindre ce qu’il nomme « la minute « illuminante », ce moment ineffable qui le propulse hors du temps et qui nourrit inlassablement son chemin de vie et d’écriture. Infatigable promeneur, il part en quête de sensations, à la recherche de ce qu’il nomme « l’analogie » : il s’agit de dégager dans ce qui nous entoure une ressemblance avec les éléments de notre histoire, d’unir en quelque sorte l’intérieur et l’extérieur. 
Ainsi, lors de ses multiples déambulations, Hardellet part toujours d’une image même la plus humble : un arbre, un balcon, un angle de rue, pour faire ressurgir le sentiment d’une ressemblance ou réminiscence où se télescopent le passé et le présent. C’est alors que surgit cette « illumination » proche pour lui du paradis de l’enfance, qu’il s’agira toujours de faire ressurgir : « Je vous ai parlé d’analogie ; l’art suprême du promeneur consiste à dégager dans ce qui l’entoure une ressemblance avec des éléments de son histoire secrète, avec les parcelles d’un royaume oublié. La rue ou la route, vaut avant tout par ce qu’elle tente de vous confier en son langage de formes et de couleurs. » [1]

Pour lui, le monde nous appartient du moment que l’on peut étreindre le temps, le contracter à volonté. Il existe selon lui une région où passé, présente et futur se rassemblent et la marche est un moyen d’approcher ce lieu : « Il suffit de presque rien. Un certain reflet de soleil sur un mur, un tas de pierres, une combinaison d’arbres, une grille, une maison en ruine. Cela me rappelle quelque chose ; impossible d’analyser, de définir avec plus de précision ce que j’éprouve. Si vous voulez : un souvenir en hibernation qui se réveille. Cela dure quelques secondes à peine, mais pendant ces brefs instants je saisissais au vol les images et sensations d’une existence seconde, comme si je m’introduisais dans la mémoire d’un inconnu, je ramasse mon butin ; ensuite, je n’ai plus, pour ainsi dire, qu’à développer ces photos mentales en écrivant. » [2] 
Au-delà de la perte, il s’évertue ainsi à créer un espace où les choses ne cesseraient jamais d’exister, une sorte de dimension autre. A l’instar par exemple de la recherche esthétique du peintre Masson dans son roman intitulé Le Seuil du jardin pour qui le monde semble proposer une énigme en lui montrant une de ces faces comme une mauvaise copie dont il s’évertue à retrouver l’original. A l’image de son tableau, l’artiste se tient toujours à la porte secrète de ce jardin dérobé qui ramène invariablement aux souvenirs de la maison de ses parents à Vincennes : « Cependant, à côté de lui, si proche que, souvent, un cristal trompeur semblait l’en séparer, s’étendait cette contrée où rien ni personne ne redoutait de périr, cette terre de la joie enfantine et du savoir définitif. Avec une passion totale, intransigeante, Masson s’accrochait à elle et voulait en exprimer l’essence avec des formes et des couleurs. » [3]
Face au manque, s’érige ce paravent d’imaginaire, l’éventail des mots et des couleurs pour suturer l’entaille de l’existence et faire revivre indéfiniment ce qui s’est enfui : «  (…) le salut réside dans ce sentiment d’être dépossédé de quelque chose qu’on doit reconquérir à tout prix. C’est la pierre de touche. Votre œuvre est là pour vous prouver qu’une vérité subsiste en dépit du temps, en dehors de vous-même.  »

La minute illuminante n’est toutefois pas exactement pour Hardellet un simple souvenir qui ressurgit. Il s’agit en quelque sorte de traverser différentes strates pour atteindre une dimension autre, intemporelle à l’image du célèbre bal de la chanson tirée d’un de ses poèmes. Le monde devient alors une sorte de musée imaginaire à parcourir et chacun de ces personnages n’apparaît dans ses écrits, ainsi qu’il le confesse, que pour faire ressurgir par leurs voix ces « minutes heureuses » au-delà et inoubliables au-delà de toute limites : « Le temps mesuré par la pendule se volatilisait, comme la nuit, comme les murs emprisonnant le rayon de la lanterne sourde. Stéphane croyait passer de l’obscurité d’un bois au jour limpide d’une plaine où tout ce qu’embrassait la vue se trouvait miraculeusement réconcilié avec son être profond. Il devenait le chasseur posté devant les éclairs des miroirs tournants, vers midi, entre des meules et des charrues dételées, il devenait l’oiseau qui planait au loin sur le clocher minuscule signalant un village ; il lui suffisait de se penser en quelqu’un pour qu’aussitôt une sorte de mémoire, toujours disponible, lui en rendît le moi oublié.  » [4]
Suivre les pas d’André Hardellet, c’est ainsi se perdre dans les dédales de la mémoire à la recherche « du temps perdu » ou d’un monde oublié, copie sans défauts de notre réalité ressurgissant à travers ce royaume des mots, où survit l’indépassable ardeur d’une enfance inégalée : « Chacun lutte comme il peut contre l’angoisse de la mort et la solitude ; tracer des mots pour les écarter ne constitue pas l’un des plus mauvais moyens inventés par l’Homme.  » [5]

 

Extraits de La Cité Montgol

Si tu reviens jamais danser
Chez Temporel, un jour ou l’autre,
Pense à ceux qui tous ont laissé
Leurs noms gravés auprès des nôtres.

Souviens-toi : quand tu l’as choisie
Pour tourner la valse en mineur,
La bonne chance enfin saisie,
Deux initiales dans un cœur.

Pense à ta jeunesse gâchée,
Sans t’en douter, au fil des jours,
Pense à l’image tant cherchée
Qui garderait son vrai contour.

Des robes aux couleurs de valse
Il n’est demeuré qu’un reflet
Sur le tain écaillé des glaces,
Des chansons - à peine un couplet

Mais c’est assez pour que renaisse
Ce qu’alors nous avons aimé

Et pour que tu te reconnaisses
Dans ce petit bal mal famé

Avec d’autres qui sont partis
Vers le meilleur ou vers le pire,
Avec celle qui t’a souri
Et dit les mots qu’il fallait dire.

Oui, si tu retournes danser
Chez Temporel, un jour ou l’autre,
Pense aux bonheurs qui sont passés
Là, simplement, comme les nôtres.

 
 

Poème
Le mystère - c’est la voix étouffée des ramoneurs derrière les murs et le parcours de la Grange- Batelière sous l’Opéra.
La peur - c’est un roulement de tombereau, la nuit, dans un bois où ne passe aucune route.
La douceur - c’est un vol de chouette, sous le taillis, au crépuscule.
Le contentement - c’est l’odeur d’une blonde qui, lente, efface ses bas noirs.
L’angoisse - c’est la congestion, comme une émeute violette, sur le bitume où bouge un soleil
ahurissant.
L’été - c’est l’ombre de la jarre qu’emperle son frais et cette parole qui traverse encore le dédale de vacances.
L’Île-au-Trésor - c’est la touffe de parfums entre tes cuisses - salées.
Le désir - c’est la flèche de rubis qui voie par-dessus 1’Orénoque en flammes et décochée sans bruit.
L’amour - c’est ce pays à l’infini ouvert par deux miroirs qui se font face.
L’enfance - c’est la clef rouillée que cachent les buis - celle qui forcerait toutes les serrures.
Le rêve - c’est l’instant où tombe enfin la robe des clairières.
La plus belle récompense de l’homme - c’est encore son sommeil.
Et le mien tarde bien à venir.
« Qu’exigeons-nous du ventre d’une femme, sinon le plus somptueux dérivatif à notre misère d’être au monde ? »

Lourdes, Lentes

Véronique Elfakir - Revue Terre à ciel

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