Le dernier tilleul d’Etel Adnan


 

 

A travers l’image des deux tilleuls qui ornent la cour de son immeuble, autrefois occupé par la légendaire Nathalie Clifford Barney, Etel Adnan déploie une flamboyante odyssée de sa vie. Ces deux arbres auxquels se limitent désormais sa vision deviennent une sorte de métaphore absolue de l’être dans sa fulgurance : « Ce printemps passé dans le tilleul/m’a aveuglée/je suis un vaste fleuve ». Le tremblement du tilleul semble se déployer comme « le voile qui sépare la mort de la vie ». Surgissent alors les images d’un passé perdu sous les bombes de Beyrouth déchiqueté : « Elle avait des yeux qui faisaient briller/le soleil sur mon lit/et tomber la pluie/c’est de ma mère que je parle ». A ce point ultime de l’existence où soleil et mer sont à jamais accouplés, où autour des rochers il y a l’écume et « le palmier est encerclé par le vent », l’existence vient confronter sa négation comme un miroir inversé. Reviennent alors le souvenir des « fragances de myrthe de l’enfance » où des « roses poussent entre les doigts », où les bassins deviennent les miroirs qui contiennent les âmes. En ce « printemps que les fleurs possèdent », où l’existence se rétrécit à une cour et la vision de deux arbres surgit l’image de la disparition que vient nier un printemps insolent : « mais j’aime les fleurs pour leurs trahisons/leurs corps fragiles/ornent les avenues de mon imagination/si elles n’étaient pas là/mon esprit serait une tombe/anonyme ». Des images déferlent entremêlant souvenirs et pensées incohérentes où cette allée de tilleul finit par devenir une montagne. La seule chose alors qui devient vrai tient à cette surface des fleuves aimés car comme elle l’écrit Etel a « l’univers pour obsession » : « Progressivement de larges feuilles tropicales lèvent les bras/trébuchent dans un espace en expansion/plus belles que mes pensées. » A ce point de jonction ou ce carrefour, « le ciel est le début d’un continent nouveau ». Reviennent alors les stations de l’existence comme des scansions :  « L’exil/l’émigration/le voyage/sont les stations de la connaissance/mais les roses se sont emparées/des quartiers bombardés/les épines habitent le désert ». En ces points de convergence, Etel devient espace et s’étoile : « je suis l’interaction du jour et de la nuit » et défie le temps, les siècles : « Comment transformer le grain de grenade en vapeur alchimique, redécouvrir Cordoue ? » Reste alors le verbe pour traverser le gué, éclairer encore un peu la nuit qui se profile, l’espoir d’un envol : « ...les mots devinrent mon paysage ». Les différents intitulés de chapitres qui composent le recueil sont autant de paliers qui nous mènent peu à peu du tilleul en fleurs à la foudre jusqu’au manifestations du dernier voyage. La métaphore de l’arbre devient celle du cycle de la vie. Un texte bouleversant.

Extraits :

Je sais que les fleurs brillent plus fort
Que le soleil
Leur éclipse marquera la fin des temps
Mais j’aime les fleurs pour leurs trahisons
Leurs corps fragiles
Ornent les avenues de mon imagination
Si elles n’étaient pas là
Mon esprit serait une tombe
Anonyme.

Sur un mur béant
Un adolescent a écrit en arabe :
« y a-t-il une vie avant la mort ? »

Oiseau d’une espèce nouvelle,qui survole un lac de désolation –

  • Je m’approche d’un vol vertical
    Qui transperce les corps célestes
    A la recherche de l’origine
    Du temps.

Véronique Elfakir - Revue Terre à ciel

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